
" Il y a des décennies pendant lesquelles rien ne se passe ; et il y a des semaines pendant lesquelles il se passe autant que pendant des décennies." Lénine
Ces dernières semaines ont marqué l’histoire du racisme.
20 avril 2021, États-Unis. Derek Chauvin, ancien officier de police, a été reconnu coupable du meurtre de George Floyd, un quadragénaire afro-américain qu'il avait interpellé pour une infraction mineure. Selon l'American Civil Liberties Union, c'est la première fois dans l'histoire du Minnesota qu'un policier blanc est jugé légalement responsable de la mort d'un homme noir en garde à vue. Bien que rien n’ait été dit explicitement, qu’aucune injure raciste n’ait été proférée, il est clair, comme écrit noir sur blanc[1], que la couleur de peau de George Floyd a été un facteur déterminant dans la violence du policier. Ce fait n’a jamais été remis en cause. Les procureurs pourraient demander une peine allant jusqu'à 40 ans de prison contre l’ancien policier si le juge président du jury retient des "circonstances aggravantes". Depuis le verdict, l'Amérique et le monde « respirent » un peu mieux. Je lis le soulagement de la famille et de la communauté de Georges Floyd, et moi aussi je respire.
Mais alors pourquoi cette migraine insistante, ces mots qui dansent dans mon esprit « racisme systémique », « circonstances aggravantes », « 25 millions de personnes dans les rues pour demander justice » ? C’est que les mots de la condamnation de Derek Chauvin résonnent avec une affaire qui me touche au cœur, une affaire qui fait du bruit mais pas assez, et dont l’issue s’est aussi dénouée ces derniers jours. L’affaire Sarah Halimi. Les mots résonnent, la juxtaposition chronologique est évidente, et tout cela ne rend le contraste des verdicts que plus frappant.
14 avril 2021. France. La Cour de cassation confirme l'irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi. Dans cette affaire, le racisme n’est pas implicite, il est explicite et revendiqué. Le meurtrier, Kobili Traoré, a choisi sa victime parce que juive. Il a assassiné sa voisine de 65 ans en criant « Allah Akhbar, et j’ai tué le démon [le démon juif ndlr] ».
Et il ne sera pas jugé.
En effet, la Cour d’Assises a retenu l’irresponsabilité de M. Traoré pour cause de « bouffée délirante » [2]. Le choix de mots est intéressant. À mon avis, tout antisémitisme meurtrier est une bouffée délirante, Hitler était un fou délirant, Staline également. Est-ce que cela les exempterait de toute responsabilité ?
Je ne rentrerai pas dans l’argument légal. D’autres le font avec bien plus de talent que moi. Je ne m’attarderai pas sur le choix de la victime, le fait que les voisins musulmans n’ont, eux, pas été touchés – beau discernement quand même – ou le fait que M. Traoré ait tenté de maquiller son crime en suicide – un délire on vous dit. Je n’argumenterai pas sur le fait qu’en droit prendre de la drogue est un facteur aggravant, et non un motif exonérant de toute responsabilité. Non, je laisse ce soin à d’autres.
Je ne poserai qu'une question. Je me demande quelle leçon nous devons tirer de la juxtaposition et du contraste de ces deux procès pour meurtre avec motif raciste (enfin, un procès et une absence de procès). Alors que la décision de justice américaine permettra peut-être aux Américains d’ouvrir une nouvelle page de leur histoire, le jugement français m’emplit de sentiments trop bien connus : impuissance, incompréhension et colère. La justice a une fonction réparatrice qui a été bafouée dans l’affaire Sarah Halimi.
La semaine dernière (oui encore), nous fêtions en Israël Yom Hazikaron, le jour du souvenir des victimes des guerres et du terrorisme. En regardant les cérémonies marquant ce jour de deuil national, la formule d’usage, utilisée après la mention du nom des victimes m’a interpellée. C’est une citation biblique dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle sonne bien datée à mon oreille, il s’agit de la formule suivante (en traduction française) : « que Dieu venge leur sang/ leur mort ». Je suis souvent demandé pourquoi on continuait, année après année, à utiliser cette formulation dépassée qui correspond à un mode de vie et de pensée bien loin des nôtres.
L’affaire Sarah Halimi m’a apporté une réponse. La seule consolation possible est de penser que la justice de D.ieu est infaillible quand celle des hommes est, de manière si évidente, défectueuse.
[1] Et pas noir sur blanc, for a change. [2] « Une personne ne commet une transgression que si l’esprit de folie s’empare d’elle. »
Talmud, Traité Sotah 3a. Rien de nouveau sous le soleil. Enfin si, ce qui est nouveau c'est que maintenant le meurtre reste impuni.
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