top of page
Search

Immigra-Sion

Emanuelle

Updated: Jul 1, 2020

En anglais, il existe un très joli mot pour désigner l’espace entre deux choses : « Liminal space ». C’est un espace physique, géographique, mais je pense qu’il existe également dans nos esprits.


En faisant mon alyah, je me suis projetée d’un point géographique (la France) vers un autre point géographique (Israël), mais bien souvent dans mon esprit je n’ai pas tout à fait quitté mes repères culturels français et je n’ai pas encore fait mienne la culture israélienne. Je ne suis vraiment moi-même qu’entre les deux, dans cet espace liminaire, imaginaire, qui mélange un mot dans une langue et un concept dans l’autre.

Je relis pour la centième fois le roman autobiographique d’Amos Oz, Une Histoire d’Amour et de Ténèbres. Un « entre-deux » lui aussi, entre amour infini et souffrance indicible, Europe ravagée et Israël rêvé. Son héroïne, Fania, est la mère de l’auteur. Immigrée de Biélorussie, elle est pétrie de culture classique, passionnée de livres, de musique, de langues. Elle grandit dans une maison bourgeoise proche des forêts, décor de conte de fées, huttes de bois enneigées et vieux châteaux. Du fond de sa province natale, Fania rêve de Jérusalem, et parle déjà hébreu. A vingt ans, elle immigre en Israël. Soleil implacable. Lumière intransigeante. Poussière et pauvreté. Bienvenue au pays du lait et du miel. Lait tiré de nos rêves et miel de nos espérances.



Natalie Portman joue Fania dans son adaptation cinématographique du roman d'Amoz Oz

Décalages.

Décalage entre le rêve et la réalité, entre un pays imaginé et le pays où l’on se réveille chaque matin. L’histoire de Fania c’est celle de l’Immigré, celui qui rêve en grand, qui a soif d’ailleurs, de nouveaux horizons, de montagnes à gravir, et de choses à construire. Celui qui se sent étouffer dans son environnement naturel, qui n’a pas peur de se déraciner, de braver vents et marées, pour refaire sa vie « ailleurs », « loin », « là-bas »[1]. Mais un jour ou l’autre, le souffle des débuts retombe, le mur de la réalité grandit, infranchissable, et l’amertume menace. Tous ces sacrifices, tout ce chemin parcouru, pourquoi ? Une claque.

Fania déchante. Je déchante. Tout immigré au monde déchante, lorsque cette question fait surface : « est-ce cela dont je rêvais » ?

L’histoire de Fania résonne en moi telle une mélodie triste. Celle des rêves perdus. Mais je ne peux me résigner à laisser la nostalgie gagner. Avec le temps j’ai compris que pour garder nos espérances intactes, il faut continuer d’imaginer le pays de nos rêves malgré les démentis du réel. Malgré le policier qui dérape, malgré l’école qui segmente, et malgré le politicien corrompu. Il faut rêver Israël, l’embellir, le perfectionner. Savoir que la réalité de demain dépend de nos rêves d’aujourd’hui, et que nos pensées, désirs et espérances définiront le futur.

Tout immigré a rêvé de sa version de Sion, la patrie perdue et retrouvée. Tout immigré s’est un jour heurté à un mur d’incompréhension, une barrière de la langue, de la culture, de la communication. Une barrière infranchissable qui le rend muet. Et tout immigré a fait l’erreur de penser que son parcours serait plus facile une fois arrivé à destination.

Israël n’est pas une destination, c’est un commencement. Alors malgré les murs que je rencontre encore, je m’accroche à mon rêve et je continuer d’imaginer, de croire et de créer l’Israël que je voudrais.

« En croyant passionnément en quelque chose qui n’existe pas, on le crée. L’inexistant est tout ce que l’on n’a pas suffisamment désiré. »

Franz Kafka

[1] Une pensée pour Jean-Jacques Goldman ;-)

 
 
 

Comments


Post: Blog2_Post

Subscribe Form

Thanks for submitting!

  • Facebook
  • Twitter
  • LinkedIn

©2020 by Entre Deux. Proudly created with Wix.com

bottom of page