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Il faut sourire pour être belle

Emanuelle


Le monde parait bien morose en ce moment.

J’étais au volant de ma voiture me posant mille questions sur les effets dévastateurs du COVID, lorsque tout à coup je fus le témoin d’une scène quotidienne et anodine dont j’avais déjà perdu l’habitude. Une jeune femme sortit de sa maison en souriant – elle n’avait pas encore mis son masque. Un sourire ! Bref éclair de gaité partagé avec des passants inconnus (dont je faisais partie), et le monde se mit à resplendir des couleurs de l’été.

Des mille choses dont le COVID nous a privés, le sourire est peut-être celle qui me manque le plus. C’est que, voyez-vous, il n’y a pas que le COVID qui soit contagieux. Le sourire et le rire le sont aussi.

Le visage est le lieu de l’altérité. Chez Lévinas, le visage c’est l’expressif d’autrui, son être au monde. Le regard, comme le sourire, ne sont pas uniquement des éléments physiologiques - mais bien le reflet de l’âme. Le sourire est-il franc ou au contraire artificiel ? Est-il doux ou amer? Nos inconscients se saisissent des indices qui nous permettent d’appréhender l’altérité absolue d’autrui, de la traduire en des termes plus finis : « beau sourire, regard pétillant etc. » Les volumes d’encre qui commentent le sourire de la Joconde montrent bien l’importance d’une expression de l’intériorité que le smiley aurait peine à remplacer.

Le sourire est un élément de nos rapports sociaux auquel je n’avais jamais vraiment pensé jusqu’au jour où je m’en suis trouvée privée. Ce n’est que maintenant que je commence à comprendre l’importance de cette injonction dans les Maximes des Père « Reçois chaque personne avec un sourire » (Pirkei Avot 1 :15). Le judaïsme considère que nos visages font partie du domaine public, et nul n’a le droit d’imposer ses humeurs à autrui. Au contraire l’obligation est celle de « recevoir » -- qui en hébreu peut se comprendre également comme « accepter » -- tout un chacun avec le sourire.


C’est fascinant de voir que les recherches récentes confirment le rôle important du sourire sur nos psychés, non seulement comme transmetteur de nos humeurs mais comme créateurs de celles-ci ! La psychologue Amy Cuddy [1], enseignante à Harvard, expose brillamment le raisonnement selon lequel « je suis heureux donc je souris » peut être renversé et remplacé par « je souris donc je suis heureux». Le simple effort mécanique de sourire (étirer nos lèvres en plaçant un crayon à l’horizontale entre nos lèvres par exemple) active les hormones et zones de stimulation de nos cerveaux liées au bonheur. L’action influe sur nos émotions et comportements, ce qui amène Amy Cuddy à nous enjoindre, après l’obtention de maintes preuves scientifiques : « Fake it until you become it ! » Fais semblant jusqu’à ce que le comportement artificiel devienne ta nature. Souris jusqu’à ce que tu deviennes heureux, fais semblant et deviens l’illusion que tu projettes. Ça marche, c’est scientifiquement prouvé. Ceci m’emmène tout naturellement à vous raconter très jolie histoire hassidique sur ce thème[2]. L’histoire n’a pas de titre officiel, mais je l’intitulerais : Le Portrait de Dorian Grey, version hassidique. [3] Vous êtes prêts pour une histoire hassidique à la saveur si particulière douce et amère ? Une histoire qui vous touche au cœur et vous assène quelques vérités bien senties ? C’est parti !

Il était une fois dans un petit village de Pologne, un homme très riche et très cruel. Sa réputation était telle que frayeur et tremblements le précédaient en tout lieu. Sa méchanceté était telle qu’elle se reflétait sur son visage. Et dans les archives du village, il était dûment noté que nul ne l’avait jamais vu sourire.

Or, cet homme, que nous nommerons Dorian Dovid Gray, tomba un jour amoureux d’une jeune femme, Hannah, dont la beauté intérieure était aussi grande que son exquise apparence. Une jeune femme aussi belle qu’elle était droite et généreuse.

Dorian Dovid était bien embêté. Voilà une personne que son argent ne saurait acheter. Il aurait pu mentir, mais son hideux visage où la cruauté était comme incrustée, l’aurait trahi. Alors, Dorian Dovid eut recours au service d’un artiste aussi talentueux que discret et lui demanda de forger un masque qui reflèterait les sentiments les plus nobles : bonté, courage, dévouement et générosité. Revêtu de ce masque, Dorian Dovid se lança à la conquête de Hannah, qui devient bientôt son épouse.

Après cinquante ans de vie commune, Dorian Dovid mourut. Une personne mal intentionnée vint dévoiler à Hannah l’odieuse nature de celui qu’elle croyait un ange. Hannah ne la crut pas un instant. Pour convaincre Hannah, notre langue de vipère s’attacha à faire tomber le masque du visage désormais immobile de Dorian Dovid.

Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant que le vrai visage de Dorian Dovid était identique en tout point à son masque ! Après cinquante ans passés à faire semblant d’être l‘incarnation de la bonté, il l’était devenu véritablement. Son visage apaisé et ouvert reflétait son caractère affable. Fake it until you become it ! [4]

Si Amy Cuddy a réuni les preuves suffisantes pour enseigner sa méthode de psychologie comportementale à Harvard…

Si Dorian Dovid Grey a vaincu sa cruauté…

… Cela vaut bien le coup que j’essaie !

En écrivant cette histoire, j’ai un crayon entre mes lèvres à l’horizontale, en espérant que cela me remontera le moral qui est au plus bas depuis mon quatrième confinement en l’espace de deux mois.

Alors je souris… mais c’est toujours assez artificiel, j’attends que la dopamine et la sérotonine fassent effet.

Et en attendant que les hormones du bonheur s’activent dans mon cerveau, je prends des forces auprès de mes enfants, petites merveilles souriantes que même le COVID n’a pas réussi à attrister.

Un immense merci à Nathan, Adèle et Hillel pour leur capacité d’émerveillement devant les petits riens du quotidien, leurs rires et leur créativité infinie (si, si) qui éclairent cette triste période.

Notes


[Note sur le titre ] Une pensée pour mon amie Pascale Ouaknine, auteure de cette jolie formule, détournement très idéologique de l’original « Il faut souffrir pour être belle »

[1] Amy Cuddy, TED Talk, Your Body Language May Shape Who You Are [2] Tous les chemins mènent à Rome. Tout me mène toujours à une histoire hassidique. [3] Adaptation libre de ma part. Donc en fait « Le portrait de Dorian Gray, version hassidique, version Emanuelle Girsowicz » [4] Ou comment une histoire hassidique relatait il y a 200 ans ce que la psychologie prouve aujourd’hui à grand bruit cf le TED talk d’Amy Cuddy qui a été vu plus de 40 millions de fois !

 
 
 

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