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Héroïnes de papier

Emanuelle



J’ai la chance, depuis toujours, d’être entourée de vrais amis. J’ai gardé précieusement au creux d’une boite en métal les lettres manuscrites des amis rencontrés à l’école primaire, en colonie de vacances, au lycée, et au gré de mes voyages d’été. Nous n’avions pas encore de mail, encore moins de téléphone portable, et nous nous écrivions de longues missives postées depuis nos maisons de vacances, tachées des plats de nos grand-mères, et porteuses de nouvelles importantes. Les titres des livres lus pendant les longues heures chaudes de l’après-midi, le nombre de kilos pris à avaler pêches, abricots, cerises et tartes aux myrtilles. Nous évoquions parfois l’angoisse de la rentrée. Enfin, mes amies évoquaient leur peur de la rentrée. Moi, je comptais les jours jusqu’au moment où je pourrais acheter de nouvelles fournitures scolaires, m’enivrer de l’odeur des livres, et surtout repérer les tenues de la collection automne-hiver que le ELLE de l’été me laissait entrevoir. La vie a suivi son cours, et je suis partie du cocon familial, pour l’Amérique, puis Israël. Les études, le travail, les enfants. Les mille et un déménagements. Tout a changé autour de moi, et rien n’a changé. L’essentiel demeure. Ils/elles sont là. J’ai toujours donné la priorité à mes amis sur l’école, les devoirs. Aujourd’hui, ils ont priorité sur les dossiers, collègues et autres choses ennuyeuses de la vie d’adulte. Je serai toujours là, auprès d’eux, plutôt qu’ailleurs - même si cet ailleurs est plus luxueux, plus stratégique, et plus prometteur. Tout voyage m’est indispensable du moment que la compagnie est bonne - et peu importe sa destination. Mes amis, de la musique, des livres suffisent à mon bonheur. Le partage rend la vie meilleure. Plus belle, riche, drôle, joyeuse. Plus supportable aussi, parfois. Ces dernières années ont été éprouvantes. À mes amis bien réels et irremplaçables, j’ai ajouté d’autres visages. Des visages faits de papier ou de pixels. Des histoires de vie dont j’avais besoin à un moment où ma vie, mes repères s’effondraient.

Généralement, quand ça ne va pas, quand je doute et je questionne, je me tourne vers … la Bible. Mauvaise pioche. La Bible ne parle pas de femmes en instance de divorce. Ni de divorcées. Ni de familles monoparentales. Pas de droit de garde, de visite, de pension alimentaire. Pas de rôle modèle, pas d’inspiration, pas d’espoir de rédemption non plus. Le Talmud mentionne le divorce bien sûr, mais il est sujet à interprétation. Tout le monde dit une chose et son contraire et les tribunaux rabbiniques ont, en Israël, la réputation de faire porter la faute aux femmes, quelle que soit la situation.

Alors par tâtonnement, j’ai cherché mes propres modèles. Loin des femmes douces, souriantes, gentilles, sacrificielles qui m’ont longtemps entourée. Loin du modèle de femme lisse – de tout point de vue, bien coiffée compris - que je connais. Loin des femmes dont l’angoisse emplit le regard dès la mention d’un divorce. (Ma consternation pour ce regard apeuré ne fait que grandir avec l’âge.) J’avais besoin de modèles inédits de femmes fortes, droites, déterminées à tracer leur chemin. Merci à mes héroïnes de papier - Yaël (the Dovekeepers), Alice (The Giver of Stars), Maddie (Sweet Magnolias), Elisabeth Thornon (When calls the heart) de m’avoir montré la voie pour trouver ma liberté. Moi la puriste, experte en littérature noble, j’ai dû revoir ma copie, et diversifier mes sources. J’avais besoin de femmes vraies, de femmes (extra)ordinaires. De femmes qui m’inspirent et me donnent espoir. J’ai congédié Emma Bovary et autres Héloïse ou Ariane, pour des héroïnes américaines : résolues, optimistes, sans peur. Elles sont en adéquation avec l’Amérique, ses grands espaces, et son histoire évoquant la liberté, les secondes chances, la foi. A elles, je dis merci d’avoir mis des mots sur mon vécu, redonné foi dans l’avenir, et montré la grande force que l’on acquiert après avoir affronté peurs, rumeurs, et hommes enragés. L’expérience de femmes brimées dans leur liberté, leur indépendance (financière surtout), et leur désir de vie transcende les époques et les contextes. L’expérience de femmes qui, poussées à bout, finissent par refuser le silence, et la perfection de façade qu’on leur impose, transcende les cultures. Et la rage qui les attend au tournant, le courage que cette épreuve requiert, ne varient pas. De l’Antiquité au 21e siècle. Mégères, sorcières, agressives, folles. Hystériques, évidemment. Définitivement pas jolies. Ni lisses, ni bien coiffées, ni souriantes. Les femmes qui osent dire non à un comportement abusif prennent cher. Les princesses ne divorcent pas. Elles ne se mettent jamais en colère.  Au pire, une larme décorative coule doucement le long de leur joue soyeuse, faisant briller leurs yeux, et désarmant leurs adversaires. Jolie, impuissante, et désarmante. L’archétype de la femme fragile. Je me demande s’il est aussi celui de la contre manipulation par la faiblesse surjouée. La manipulation est l’arme des faibles. A ce modèle, je préfère celui de la femme forte, courageuse, déterminée. Pas forcément belle, ni populaire. Celle dont la liberté dérange.

Mes sœurs de l’âme depuis peu s’appellent Alice et Elisabeth, elles vivent dans les grandes forêts du nord de l’Amérique au début du 20e siècle, et connaissent le froid, et les bandits. Ni la chaleur du désert, ni le Hamas. Pourtant au fond de leur âme brûle le désir de vie, d’authenticité, de sens qui anime la mienne.

 

Sans les héroïnes de fiction, ces sœurs de cœur au destins semblables aux miens, aurais-je tenu ? Et n’est-ce pas là l’essence de la littérature que de créer une unité de destin là où la réalité nous apparait si dissemblable ?Une fois de plus, je suis « sauvée par la beauté » comme l’écrivait Dostoïevski. Entre mes amis de toujours dont le soutien a été inconditionnel, et les modèles entrevus par le biais de la littérature, je suis chanceuse. Une richesse de vie et de cœur dont nul, jamais, ne saura me priver.

 

 
 
 

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